© - DR - LA VERITE de H.G.Clouzot (1960) p19
07/10/2017 05:43 par tellurikwaves
Éclairage média
L'interview annonce déjà la couleur d'un certain voyeurisme de l'intérêt pour les "people". Le journaliste ne s'intéresse absolument pas au tournage, au travail en lui-même, mais seulement aux "rapports humains" avec le réalisateur d'abord, avec le mari de Brigitte Bardot ensuite. Les sujets de l'interview, ce sont l'intimité et la vie personnelle de la star. Ceci est paradoxal puisque l'interview est réalisée pendant le tournage, "secret" de La Vérité.
Effectivement, Clouzot ne tient pas à ce que les journalistes envahissent les studios. En 1960, nous constatons déjà que le journaliste veut des confidences exclusives. Le rôle de la télévision consiste à donner au téléspectateur l'impression de se rapprocher de ses idoles. Notons le rôle particulier du journaliste : il est très à l'aise, il joue le rôle du confident, de l'ami, voire du séducteur.
Il enferme la comédienne dans le "label BB", l'empêchant de parler de sujets professionnels dans ses allusions à la "mise à nu" et ses blagues douteuses. Il guide et dirige les propos de la comédienne, qui se laisse séduire. Il crée presque une véritable scène de séduction, se comportant autant en animateur qu'en simple journaliste. Il apparaît d'ailleurs à l'écran, en plan large et en gros plan (contre-champ sur lui). Un plan étonnant sur le cadreur est également choisi au montage.
Malgré ses propos optimistes, nous savons qu'au moment du tournage, Brigitte Bardot est en pleine crise conjugale. Le journaliste veut qu'elle parle de son mari, qui est alors Jacques Charrier, avec qui elle a eu un enfant, Nicolas, en janvier 1960. Elle fera même une tentative de suicide en septembre 1960 et divorcera en 1963.
La question du journaliste sur les liens entre Brigitte Bardot et Clouzot s'explique par la réputation de Clouzot d'être un réalisateur exigeant, voire colérique, avec lequel les tournages peuvent être le lieu de scènes pénibles. Contrairement à ce qu'affirme Brigitte Bardot, le tournage de La Vérité serait "pesant, lourd et difficile" selon la comédienne Marie-José Nat.
Contexte historique
La fin des années cinquante marque un changement dans le cinéma français avec la naissance de la Nouvelle Vague, qui réunit de jeunes cinéastes nés dans les années trente, et issus de la critique des Cahiers du cinéma. Les réalisateurs plus anciens, comme Claude Autant-Lara, Jacques Becker, Jean Delannoy, Julien Duvivier, Robert Bresson et Henri-Georges Clouzot, poursuivent leur carrière parallèlement, privilégiant un cinéma d'intrigue et de dialogue, très écrit (parfois des adaptations de romans), réaliste et psychologique.
La Vérité, tourné en 1960, est le dixième long métrage de Clouzot, scénariste et réalisateur. Il a derrière lui une filmographie imposante qui débute en 1931 avec un court métrage burlesque. Il continue à travailler sous l'Occupation, réalisant ses célèbres films policiers, noirs et réalistes - L'assassin habite au 21, Le Corbeau. Il poursuit dans ce style réaliste psychologique et noir après la guerre en réalisant Quai des Orfèvres (1947), Les espions (1957), et Les Diaboliques (1955). En 1956, dans Le Mystère Picasso, son seul documentaire, il tente de montrer le processus de création de l'oeuvre.
Dans La Vérité, Clouzot utilise le "mythe Bardot" pour créer un portrait psychologique dramatique d'une jeune femme moderne accusée du meurtre de son amant. De nombreux réalisateurs de la "vieille garde classique" sont désormais obligés de faire appel aux comédiens célèbres pour pouvoir tourner, d'autant plus qu'ils réalisent des films à gros budgets, tournés en studio. Le prix moyen d'un film est alors de 90 millions de francs. Clouzot n'est ainsi pas le seul réalisateur à s'emparer du label "BB".
La fin des années 1950 amène une rupture dans la filmographie de Clouzot, qui perd son succès populaire antérieur : en effet, en 1957, Les Espions reçoit un accueil mitigé du public et de la critique et Clouzot perd de l'argent. Après cet échec, il espace ses films : c'est seulement huit ans après La Vérité qu'il réalise son dernier long métrage La Prisonnière, qui n'est pas non plus un succès.
Quant à Brigitte Bardot, alors âgée de 26 ans, elle est déjà en 1960 une icône populaire - celle de la femme- enfant, souvent naïve, parfois cruelle et toujours sensuelle. Révélée en 1956 dans le film de son premier mari Roger Vadim Et Dieu créa la femme, elle joue dans les films des jeunes cinéastes de la Nouvelle Vague au début des années soixante, et se retire du cinéma en 1973.
Carole Robert
Marie José Nat
CINECLUB DE CAEN
Dominique Marceau est jugée pour le meurtre de son amant Gilbert Tellier. Au cours des audiences se dessine petit à petit le véritable visage de l'accusée...
Dominique a séduit Gilbert, le jeune fiancé de sa soeur Annie. Mais si pour Dominique, fille volage et de moeurs légères, c'est une passade sans importance,c'est pour Gilbert la révélation d'une passion dévorante, et pour Annie un drame déchirant. Gilbert rompt avec Annie pour vivre avec Dominique. Cette dernière, cependant, le trompe sans malice et Gilbert, déçu, retourne auprès d'Annie.Dans un accès de colère et de découragement, Dominique tue Gilbert d'un coup de revolver.
Dans le Palais de Justice, les avocats s'affrontent au cours de leurs plaidoiries. Pour l'avocat général, Dominique est un monstre de perversité sans morale, sans sentiment, qui a tué par égoïsme, refusant qu'un amant de passage la délaisse. Pour l'avocat de la défense, elle est une victime sensible et délicate, plongée dans un monde de cruauté et de corruption, et dont les nerfs ont cédé. Le jury ne tranchera pas...À la fin de l'audience, les avocats qui se sont violemment pris à parti tout au long des débats, devisent gaiement ensemble.
La vérité est un exemple caractéristique de la fameuse qualité française dénoncée par la Nouvelle vague. Il fait preuve d'une misanthropie de bon aloi. Les instances judiciaires sont des professionnels bornés (le juge) ou des roublards intelligents et cynique, l'avocat et le procureur. Féroces dans le prétoire, ceux-cis'entendent parfaitement dans la vie ; vie de vieux qui les empêcherait de comprendre les jeunes.
L'assistante de Vanel, plus jeune, s'intéresse à Dominique Marceau ce que lui reproche son patron lorsqu'elle arrive en retard alors qu'il a dû placer lui-même madame Boutreau, une riche bourgeoise attirée par le parfum de scandale du procès. "Les laboratoires Boutreau, ça fait cinq millions par an, alors, à côté de ça, les états d'âmes de Dominique Marceau...". Son assistante lui propose de plaider la vérité.
Quelle vérité ? s'insurge Vanel, "Une histoire de gosses. Vous pourriez leur faire comprendre" dit-elle. "On dirait que vous ne les connaissez pas. Mais non, je ne vais pas prendre une gamelle pour faire plaisir à cette petite imbécile. J'ai trouvé un moyen de marquer des points. Gilbert est un salaud, il racontait des salades pour la baiser. C'était une pauvre idiote qui marchait dans un rêve. Quand elle a ouvert les yeux, elle a tiré. Voilà la vérité". "Toujours la même quoi, répond l'assistante désabusée". "Aux assises, il n'y en a qu'une conclut Vanel" sous-entendant par là que les jeunes femmes sont des proies faciles et les hommes de vils séducteurs.
Cette noirceur systématique, triste à se suicider, Clouzot la fait hélas sienne. Jamais il ne fait autre chose de Bardot qu'une ravissante idiote qui, lassée de ses amours sans lendemain de la bohème parisienne, s'éprend d'un musicien plein d'avenir sans comprendre que, sans points communs à partager avec lui, leur amour physique est sans espoir (...ce n'est que plus tard que Bardot chantera Gainsbourg).
Au total donc un film bien anodin mais pas déplaisant avec les qualités de ses dialogues. Bardot mutine déclarant "Et mon cul, c'est du poulet!" Vanel misanthrope : "A dire que ça pourrait être un si beau métier sans les clients" puis "Elle est plutot difficile à enlaidir, ça tombe mal : regarder les jurés !" Et Meurisse de renchérir : "Sales gueules, tout à fait ce qu'il me faut".
Après En cas de malheur (Claude Autant-Lara, 1958) c'était le deuxième grand rôle dramatique de Brigite Bardot. Grand prix du cinéma français, le film décrocha un oscar à Hollywood pour un scénario avec flashes back sans grande originalité.
Jean-Luc Lacuve le 19/03/2010