© - DR - LA VERITE de H.G.Clouzot (1960) p9
05/10/2017 06:01 par tellurikwaves
Cette remarque reflète la position de Clouzot, qui souligne la complexité de l’entreprise consistant à essayer de comprendre les faits et définir La vérité de ce qui est en jeu : le crime était-il passionnel ? Est-ce que Dominique « aimait » Gilbert (Sami Frey), sa victime ?
Ceci dit, à aucun moment l’avocat de la défense ne pose la simple question d’un autre motif plausible que la passion. Parce que ce que la Cour juge au fond, via un jury populaire, c’est une manière de vivre son désir amoureux.Et ce que le film montre, c’est le procès d’une génération par une autre, séparées par un fossé, et le processus de l’explosion du désir mimétique liée à la libération des mœurs en train d’advenir.Ce qui est intéressant (et très propre, il me semble, à l’esprit de Clouzot), c’est la construction par aller-retour entre le présent du procès et les flashbacks de l’histoire d’amour : cette construction permet l’alternance entre la vie, le déroulement de la passion mimétique, et son jugement au sein de la scène institutionnelle qu’est le tribunal, son décorticage par les instances de jugement. Autrement dit, en même temps qu’il le montre se déployer, le film permet d’analyser le mécanisme mimétique de la passion amoureuse.
Evidemment, il a raison : il a repéré le troisième élément de la relation mimétique, toujours triangulaire ; un élément essentiel et souvent escamoté par les amoureux, comme il l’est habilement dans les séquences qui nous font partager leur passion : c’est Annie, la sœur de Dominique.L’avocat de la défense quant à lui, Maître Guérin (Charles Vanel, ci-contre), va mettre en lumière le non-amour de Gilbert à l’endroit de Dominique :
« Rien ne l’arrête, pas même cette aventure qu’elle a presque sous ses yeux ! Il la veut, il la lui faut quand même ! Et il la prend toute chaude encore de l’étreinte de l’autre. Et vous appelez ça de l’amour ? Durant sept mois de liaison que va-t-il en faire ? Son lit. Son lit tous les jours, ça oui. Mais une heure par jour : si elle passait la nuit dans ses bras, elle pourrait troubler son confort. »
Lui aussi a raison.
Dominique et Gilbert sont tous deux victimes du processus infernal du désir mimétique.Le soir où, désespéré, délaissée, Dominique voit Gilbert sur les téléviseurs derrière une vitrine, en train de diriger un orchestre : l’image répétée, livrée au public (notamment aux passants, autour de Dominique), qui magnifie et multiplie l’objet du désir, le rend encore plus désirable, et impossible à perdre.
L’intelligence de Clouzot est dans tous les choix de réalisation de ce chef d’œuvre. Notamment dans le casting : pour incarner la meurtrière, il choisit Brigitte Bardot, objet par excellence du désir mimétique, et donc formidable vecteur d’identification.A t-elle été plus belle et plus juste que dans ce film ? Dans « Le Mépris » de Godard, trois ans plus tard ? Pour Jean-Louis Bory, la réponse ne fait aucun doute: « Le prétexte, l'objet du film (« Le Mépris »), plus que le roman italien, c'est BB. Ce que Vadim a imaginé dans son premier film, mais n'a plus été capable de réaliser, ce que Louis Malle a raté dans « Vie privée », Godard l'a réussi. « Le Mépris » est le film de Bardot, parce qu'il est le film de la femme telle que Godard la conçoit et telle que Bardot l'incarne. »Clouzot n’est même pas évoqué pour évoquer le travail de ceux qui l’ont dédaigné aux Cahiers du Cinéma.
En tous cas la scène où Gilbert découvre Dominique, couchée sur le ventre, les fesses nues, est citée par Godard, dans la fameuse scène du début du «Mépris » .Et Bardot ici en noir et blanc, avec sa crinière, est à la fois sublime et « accessible ». C’est la pauvre fille sublime. Pas la star. Elle est touchante, et je suis amoureux de Bardot amoureuse. J’adore sa voix, son phrasé un peu traînant (la voix cassée de Marie-José Nat est parfaite aussi).
Et si elle m’a tant plu, c’est que j’ai été touché par le côté à la fois froid et intense du film. Intense, comme cette belle scène, quand Gilbert attend Dominique devant son hôtel, la nuit où elle est partie derrière un mec en moto. La réalisation est très sobre, très juste, et procède par petites touches… qui m’ont touché. On a tous vécu ce genre de moment, où le moindre bruit vous fait tourner la tête, où l’on est épuisé(e) d’avoir attendu toute la nuit celui/celle qu'on aime…
Après cette nuit épuisante, Gilbert emmène Dominique à un mariage où il doit jouer de l’orgue. Et il la questionne tout en jouant, s’énerve, et finit par jouer n’importe quoi (c’est assez drôle, mais Clouzot, comme d’habitude, n’insiste pas). Puis il se reprend, et Dominique dit : « Dans le fond, je suis contente d’être venue, c’est si beau »…
Froid comme Gilbert. Au feu de Brigitte Bardot, Clouzot oppose l’eau de Gilbert. Pour incarner la victime (nécessairement moins présente à l’écran), Clouzot choisit Sami Frey plus froid, plus lisse, et qui irradie beaucoup moins que Bardot… même lorsqu’il dirige avec fougue « L’Oiseau de feu » de Stravinsky.
Il est intéressant de noter que ce ballet est inspiré d’un conte populaire russe, où un jeune homme poursuit un oiseau merveilleux, tout d’or et de flammes. Il ne réussit pas à s’en emparer, mais arrache une de ses plumes scintillantes. Il vit une histoire d’amour avec la Princesse de la Beauté Sublime. Et le danger qui le guette est d’être changé en pierre par des puissances maléfiques. Cela rappelle l’effet de fascination de la gorgone, que peut évoquer Brigitte Bardot, avec sa chevelure… En tous cas, c’est vivante, en mouvement que Bardot est charmante. Les photos du film ne savent pas transmettre ce charme.
« La Vérité » est un des plus beaux films d’amour, qui rend avec justesse à la fois :
- la fraîcheur, l’idéalisme du premier amour, sans aucune ironie. Par exemple cette scène, après qu’ils ont fait l’amour pour la première fois. La copine qui leur a prêté sa chambre, attend dehors, sur le palier, soulignant l’intimité du plan suivant. Très court (très classe), ce plan nous rend compte de l’essentiel d’un vécu qui n’appartient qu’aux deux amoureux dans l’obscurité, couchés : « Tu sais, j’aurais jamais cru…- Moi non plus j’aurais jamais cru… »
Oscar du meilleur film étranger.
Publié par Patrick Bittar à 01:08
Paul Meueueueu...risse
Samy Frey & BB
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BLOG LE MONDE
Elle :
Un excellent film qui souffle le vent de la rébellion et même annonce les grands bouleversements qui vont agiter la société française de ces années 60. Ce drame passionnel qui se joue entre un jeune chef d’orchestre et sa jeune amie volage éprise de liberté donne lieu à un procès où les corps institutionnels (avocats, juges, police, famille) sont férocement montrés par le cinéaste pour leur rigidité, leurs conventions ridicules, leur hypocrisie, leur propension à créer du sensationnel pour alimenter les journaux. Clouzot fait des allers retours entre le déroulement des évènements et le tribunal. La Vérité fait la part belle à une jeunesse qui se réveille, provoque, bouleverse les codes moraux et désire s’émanciper. Le ton est plein de fraîcheur, de désinvolture, d’insouciance, de sensualité et d’humour.
Note : 5 étoiles
Lui :
La jeune et jolie Dominique (Brigitte Bardot) est jugée pour le meurtre du seul homme qu’elle ait aimé (Sami Frey). La société voit en elle une jeune fille aux mœurs dissolues et refuse de reconnaître le crime passionnel. La Vérité est mis en scène avec grande précision par Henri-Georges Clouzot, les scènes de prétoires étant entrecoupées de flashbacks nous permettant de mieux mesurer le décalage entre la vision de la Justice et la réalité. Les joutes oratoires entre avocats (Charles Vanel et Paul Meurisse) sont assez brillantes ; elles auraient été inspirées au cinéaste par celles de Maîtres René Floriot et Maurice Garçon.
La direction d’acteurs est tout aussi précise et La Vérité offre incontestablement à Brigitte Bardot le plus grand rôle de toute sa carrière (et on peut en dire autant, très certainement, de Sami Frey). Les films de Clouzot, et celui-ci en particulier, furent raillés par les défenseurs de la Nouvelle Vague car trop représentatifs d’un « vieux cinéma ». Le recul permet de mesurer à quel point ces attaques étaient futiles * tant La Vérité reste d’une indéniable force 50 ans plus tard.
Note : 5 étoiles
Le parallèle entre Brigitte Bardot (dont la célébrité était alors à son apogée) et son personnage dans le film a largement alimenté les chroniques. Pour ne rien arranger, Brigitte Bardot fera, comme son personnage dans La Vérité, une tentative de suicide peu après (sans qu’il n’y ait, semble t-il, de lien direct avec le film) et elle aura également une aventure avec Sami Frey.
En pleine explosion de la Nouvelle Vague, l’un des plus admirables réalisateurs français des années 1940 et 1950 s’offrait les services d’un sex-symbol,Brigitte Bardot, pour dresser une nouvelle fois le portrait à charge d’une société puritaine et hypocrite, dénuée de compassion pour les monstres qu’elle pouvait engendrer. Le résultat est d’une précision remarquable, d’une ironie impitoyable et permet à la plus célèbre poupée du cinéma français de se distinguer par une très belle composition dramatique.
En 1960, lorsque La Vérité sort sur les écrans, Brigitte Bardot est la star de cinéma par excellence, bénéficiant d’une aura qui la rend très populaire dans le monde entier, même jusqu’aux États-Unis, ce qui permettra très certainement à Clouzot d’être nommé cette année-là à l’Oscar du meilleur film étranger. Pour qui s’est intéressé à la vie de l’actrice de cinéma depuis son départ en retraite en 1973, la chose semble difficile à imaginer puisque le mythe s’est dramatiquement érodé au fil de déclarations en tout genre (politique, religion, sexualité) qui lui valent aujourd’hui le titre peu disputé de people la moins fréquentable de France.
Pourtant, lorsque Brigitte Bardot, à peine âgée de vingt ans, déboule sur les écrans français au beau milieu des années 1950, elle révolutionne l’image de la femme et bouscule la bienséance bourgeoise qui, découvrant Et Dieu… créa la femme (1956) ou En cas de malheur (1958), ne sait plus vraiment où poser ses yeux. La nudité s’y affiche sans complexe, la caméra devient complice de jeux sexuels équivoques et ce sans cette distance ironique propre au cinéma américain qui faisait par exemple de Marilyn Monroe un être ultra sexué mais définitivement inaccessible.
Inconsciente de la furie qu’elle pouvait provoquer chez ses interlocuteurs masculins, Bardot était en quelque sorte la nymphette épanouie vivant dans l’immeuble d’à côté. En 1963,c’est avec cette image publique que jouera Jean-Luc Godard en lui confiant le rôle d’une femme au bord de la rupture amoureuse dans l’inoubliable Mépris.Forcément réceptif au trouble que l’actrice pouvait provoquer au sein du public et de la gêne qu’elle pouvait parfois susciter, Henri-Georges Clouzot y vit très certainement l’opportunité d’attaquer une nouvelle fois le moralisme bourgeois qu’il n’a cessé d’exécrer dans l’ensemble de ses films, des pétainistes du Corbeau (1943) aux provinciaux des Diaboliques (1955).
Mais là où Roger Vadim, Claude Autant-Lara et autres Julien Duvivier se contentaient de jouer à la poupée qu’on effeuille avec un brin de salacité, le réalisateur de Quai des Orfèvres souhaite donner à l’ingénue séductrice une véritable dimension tragique,osant quasiment en faire une martyre du puritanisme dont on ne sait plus vraiment si le principal crime est d’avoir tué son amant ou d’assumer aussi librement sa sexualité. Pour cela, Clouzot ne reculera devant rien, armé d’un scénario très solide et d’une mise en scène impitoyable qui ne laisse strictement rien au hasard. Mais la peinture de ses contemporains fait état d’une telle médiocrité généralisée qu’on peine à imaginer comment le film put être reçu aussi favorablement par le public à l’aube des années 1960.
Et pour soutenir jusqu’au bout l’analogie, le récit de La Vérité sera entièrement articulé autour du procès de la jeune femme, créant un étrange et culotté jeu de miroir entre l’assistance et le public de la salle obscure tandis que les avocats, peu avares de déclarations caustiques à la limite du cynisme, sont les porte-paroles du réalisateur.Brigitte Bardot incarne donc Dominique Marceau, jeune femme oisive qui ne sait trop quoi faire de sa vie mis à part séduire les hommes qui se présentent à elle. Désespérée par son quotidien qui ne lui inspire qu’ennui, elle parvient à convaincre ses parents de la laisser suivre sa sœur (Marie-José Nat), son exact opposé, à Paris.
Insouciante et vaguement égoïste, elle vit aux crochets de sa sœur et finit même par s’enticher de son petit ami, Gilbert Tellier (Sami Frey),brillant musicien qui dissimule derrière son sérieux une propension à la passion la plus dévorante. Laissant de côté un instant sa raison et ses exigences intellectuelles, il succombe au charme endiablé de Dominique, probablement l’une des seules filles de sa génération à pouvoir remuer si gracieusement ses fesses nues à peine cachées par un léger drap de lit.
Pour les deux amants commence alors une histoire houleuse mais condamnée d’avance, écrasés tous deux par une pression sociale qui ne peut ériger le désir sexuel comme moteur principal d’une relation. Détruite par un sentiment amoureux dont elle se croyait protégée, la jeune nymphe se transforme progressivement en fantôme d’elle-même (ce à quoi le jeu vaguement désincarné de Bardot donne une très belle dimension) jusqu’à commettre l’irréparable dans un moment de détresse totale.
Là où de nombreux réalisateurs se sont parfois contentés de poser au beau milieu du film un corps dont la seule beauté allait devenir le principal ressort scénaristique, Clouzot n’hésite pas un seul instant à malmener violemment l’image de l’icône jusqu’à la rendre profondément pathétique. Ici, malgré la très grande précision apportée à la reconstitution d’un Paris bohème, la volonté de réalisme est de mise. La jeune femme se déconnecte progressivement de tout ce qui la rattachait à la société : fâchée avec sa sœur, elle perd son logement, vit de combines pour ne pas dormir dans la rue et va jusqu’à monnayer son corps pour subsister.
Oisive, charnelle, mendiante et prostituée, Dominique Marceau cumule toutes les tares qui feront d’elle la coupable idéale aux yeux de l’opinion. Les chefs d’accusation au cours d’un procès appellent une succession de tableaux pendant lesquels le réalisateur dessinera un personnage d’une belle ambiguïté, jouant avec le feu sans jamais mesurer l’extrême danger qui se présente à elle. Mais derrière la froideur cynique de Clouzot, n’oublions pas que l’homme, passionné par les tourments intérieurs de ses personnages, est probablement celui qui a su filmer Bardot avec le plus d’humanité.
Rarement son visage inondé de larmes, reflet de toutes les humiliations dont elle a été l’objet, n’aura paru si beau. Et ce cri de désespoir lancé à une assistance incapable d’empathie («Vous êtes tous morts!» hurle-t-elle) résonne encore comme l’une des plus déchirantes déclarations de guerre de la part d’un réalisateur qui, s’il n’a pas vraiment survécu à la révolution de la Nouvelle Vague, a toujours fait preuve d’une exigence pour son art qui force le respect.
En cours de recherches
La Vérité
Dominique Marceau, une séduisante jeune femme, est jugée en cour d'assises pour le meurtre de son amant, Gilbert Tellier. Au cours des audiences, le véritable visage de l'accusée se dessine peu à peu.Gilbert, un jeune chef d'orchestre, promis à sa sœur Annie, violoniste, tombe amoureux de Dominique. C'est la première fois qu'elle se sent amoureuse. Néanmoins cela devient aussi pour elle un engagement trop important pour sa jeunesse instable. On lui reprochera ses mœurs légères durant le procès.
C'est pour Gilbert la révélation d'une passion dévorante, mais trop possessive pour Dominique. Pour Annie c'est un drame. Dominique, cependant, trompe Gilbert pour se venger après qu'il l'a quittée en croyant qu'elle l'avait préalablement trompé.Ce dernier retourne auprès d'Annie et se fiance avec elle. Dominique sombre dans la dépression en apprenant la nouvelle. Elle tente alors de revoir Gilbert. Gilbert aura encore une dernière aventure, secrète et fugace avec Dominique, mais lui dira au matin qu'il n'est plus amoureux. Dominique, dépressive, se trouve un pistolet pour éventuellement se suicider.
Des semaines plus tard, Dominique, encore amoureuse, vient au domicile de Gilbert. Alors qu'elle vient menacer de se suicider devant lui, il la repousse avec une grande violence verbale, elle le tue spontanément. Elle cherche immédiatement à se suicider, mais sans effet, ayant vidé son chargeur dans la fureur de son acte. Elle tente alors de se suicider au gaz. Sauvée in extremis, elle passe devant les assises pour meurtre.
Cast
Le tournage a eu lieu à partir du 2 mai 1960 dans les studios Franstudio de Joinville-le-Pont.
« Un scénario dont l'architecture est un modèle d'ingéniosité et de précision, une mise en scène qui ne laisse pas l'ombre d'une chance au hasard, une interprétation dirigée de main de maître, voilà ce que nous offre La Vérité. Jacques de Baroncelli - Le Monde »
Le film fait salle comble durant de nombreuses semaines, provoquant un bouche à oreille de qualité. Le film tiendra l'affiche de nombreux mois et deviendra encore un énorme succès pour Henri-Georges Clouzot et Brigitte Bardot avec 5 692 000 entrées en France
Distinctions/Récompenses
Won Special Silver Ribbon |
Antonio Pietrangeli For his directing debut.
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